Hercule Savinien Cyrano de Bergerac (1619 - 1655) Le Pédant joué, Comédie en cinq Actes, Acte Ier, Scènes II - V

Publié le par Enguerrand

Scène II.

Granger. Paqiuer.

 

 Hé bien, Petre, ne voilà pas une digue que je viens d’opposer aux terreurs que me donne dous les jours Monsieur de La Tremblaye ? car La Tremblaye, à cause de Châteaufort, Châteaufort, à cause de La Tremblaye, désisteront de la poursuite de ma fille. Ce sont deux poltrons si éprouvés, que, s’ils se battent jamais, ils se demanderont tous deux la vie. Me voici cependant embarqué sur un mer où la moitié du monde fait naufrage. C’est l’amour chez moi, l’amour dehors, l’amour partout, Je n’ai qu’une fille à marier, et j’ai trois gendres prétendus. L’un se dit brave, je sais le contraire ; l’autre riche, mais je ne sais ; L’autre gentilhomme, mais il mange beacoup. O nature, vous croiriez vous être mis en frais, si vous aviez fagoté tant seulement trois belles qualités en un individu ! Ah ! Pierre Paquier, le monde s’en va renverser.

 

Paquier.

 

 Tant mieux ; car autrefois j’entendais dire la même chose, que tout était renversé. Or, si l’on renverse aujourd’hui ce qui était renversé, c’est la remettre en son sens.

 

Granger.

 

 Mais, ce n’est pas encore là ma plus grande plaie : j’aime, et mon fils est mon rival ! Depuis le jour que cette furieuse pensée a pris gîte au ventricule de mon cerveau, je ne mange pour toute viande qu’un poenitet, faedet, miseret ! Ah ! c’en est fait, je vais me pendre !

 

Paquier.

 

Là, là, espérez en Dieu ; il vous assistera : il assiste bien les Allemands qui ne sont pas de ce pays-ci …

 

Granger.

 

 Si je l’envoyais à Venise ? Haud dubie, c’est le meilleur. C’est le meilleur ? Oh ! sans doute. Bien donc ! Dès demain je le mettrai sur mer.

 

Paquier.

 

 Au moins, ne le laissez pas embarquer, sans attacher sur lui de l’anis à la reine, car les médecins en ordonnent contre les vents.

 

Granger.

 

 Va-t’en dire à Charlot Granger qu’il avole subitement ici. S’il veut savoir qui le demande, dis-lui que c’est moi.

 

Scène III.

Granger, seul.

 

 Donc, sejongant de nos lares ce voraces absorbeur de biens, chaque sol de rente que je soûlais avoir deviendra parisis, et le marteau de la jalousie ne sonnera plus les longues heures de désespoir dans le clocher de mon âme. D’un autre côté, me puis-je résoudre mariage, moi que les livres ont instruit des accidents qu’il tire à sa cordelle ? Que je ma marie ou ne me marie pas, je suis assuré de me repentir. N’importe ! ma femme prétendue n’est pas grande : ayant à vêtir une haire, je ne la puis prendre trop courte. On dit cependant qu’elle veut plastronner sa virginité contre les estocades de mes perfections. Eh ! à d’autres ! un pucelage est plus difficile à porter qu’une cuirasse. Toutes les femmes ne sont-elles pas semblables aux arbres ? pourquoi donc ne voudrait-elle pas être arrosée ? Ac primo, comme les arbres, elles ont plusieurs têtes : comme les arbres, si elles sont ou trop ou trop peu humectées, elles ne protent point ; comme les arbres, elles déchargent, quand on les secoue ; enfin Jean Despautères le confirme quand il dit : Arboris est nomen muliebre. Mais, je crois que Paquier a bu de l’eau du fleuve Lethé, ou que mon fils s’approche à pas d’écrivisse. Je m’en vais obviam, droit à lui.

 

Scène IV.

Charlot, Paquier.

 

Charlot.

 

Je ne muis rien comprendre à ton galimatias.

 

Paquier.

 

Pour moi, je ne trouve rien de si clair.

 

Charlot.

 

Mais enfin me saurais-tu dire qui c’est qui me demande ?

 

Paquier.

 

Je vous dis c’est moi.

 

Charlot.

 

Comment, toi ?

 

Paquier.

 

Je ne vous dis pas moi ; mais je vous dis que c’est moi, car il m’a dit en partant « Dis-lui que c’est moi. »

 

Charlot.

 

Ne serait-il point mon père que tu veux dire ?

 

Paquier.

 

Eh. Vraiment oui. A propos, je pense qu’il a envie de vous envoyer sur la mer.

 

Charlot.

 

Eh ! quoi faire, Paquier?

 

Paquier.

 

Il ne me l’a point dit ; mais, je crois que c’est pour voir la campagne.

 

Charlot.

 

J’ai trop voyagé. J’en suis las.

Paquier.


Qui, vous ? je vais gager chapeau de cocu qui est un des vieux de votre père que n’avez jamais vu la mer que dans une huître à l’écaille !

 

 

 

Charlot.

 

Et, toi, Paquier, en as-tu vu davantage ?

 

Paquier.

 

Oui-da ; J’ai vu les Bonshommes, Chaillot, Saint-Cloud, Vaugirard.

 

Charlot.

 

Et qu’y as-tu remarqué de beau, Paquier ?

 

Paquier.

 

A la vérité, je ne les vis pas trop bien, pour ce que les murailles m’empêchaient.

 

Charlot.

 

Je pense, ma foi, que tes voyages n’ont pas été plus longs que sera celui dont tu me parles. Va, tu peux l’assurer que je ne désire pas …

 

Scène V.  

Granger, Charlot, Paquier.

 

Granger.

 

Que tu demeures plus longtemps ici ? Vite, Charlot, il faut partir. Songe à l’adieu dont tu prendras congé des Dieux foyers, protecteurs du toit paternel ; car demain l’aurore porte-safran ne se sera pas plutôt jetée des bras de Tithon dans ceux de Céphalée qu’il te faudra fier à la discretion de Neptune guide-nefs. C’est à Venise où je t’envoie : Tuus enim patruus m’a mandé qu’étant orbe d’hoirs mâles, il avait besoin d’un personnage, sur la fidélité duquel il pût se reposer du maniement de ses facultés. Puis donc que tu n’as jamais voulu t’abreuver aux marais fils de l’ongle du cheval emplumé, et que la lyrique harmonie du savant meurtrier de Python n’a jamais enflé ta parole, essaye si, dans la marchandise, Mercure aux pieds ailés te prêtera son caducée. Ainsi, le turbulent Eole te soit aussi affable qu’aux pacifiques nids des alcyons ! Enfin, Charlot, il faut partir !

 

Charlot.

 

Pour où aller, mon père ?

 

Granger.

 

A Venise, mon fils.

 

Charlot.

 

Je vois bien, Monsieur, que vous voulez éprouver si je serais assez lâche pour vous abandonner, et par mon absence vous arracher d’entre les bras un fils unique. Mais, non père ; si vos tendresses sont assez grandes pour sacrifier votre joie à mon avancement, mon affection est si forte, qu’elle m’empêchera de vous obéir. Aussi, quoique vous puissiez alléguer, je demeurerai sans cesse auprès de vous, et serai votre bâton de vieillesse.

 

Granger.

 

Ce n’est pas pour prendre votre avis, mais pour vous apprendre ma volonté, que je vous ai fait venir. Donc, demain je vous emmaillote dans un vaisseau, pendant que l’ait est serein ; car, s’il venait à nébuliser, nous sommes menacés, par les Centuries de Nostradamus, d’un temps fort incommode à la navigation.

 

Charlot.

 

C’est donc sérieusement que vous ordonnez de ce voyage ? Mais apprenez que c’est ce que je ne puis faite, et que je ne ferai jamais.

Cf. Œuvres comiques, galantes et littéraire de Cyrano de Bergerac, Paris, 1858 pp. 232 – 250.

Publié dans Poésies et Théâtre

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